Des votes !

Les élec­tions ap­prochent et si j’en crois mon en­tou­ra­ge, il n’est pas ­fa­cile pour tout le monde de choi­sir quel bul­le­tin mettre dans l’ur­ne : « ­Faut-­il vo­ter uti­le ? », « Ah non, je vo­te­rai pour mon can­di­dat fa­vo­ri ­quoi­qu’il ar­ri­ve ! », « oui, mais quand mê­me, je ne veux pas voir le FN au se­cond tour ! »

Mais au fait com­ment un 21 avril est-­il pos­si­ble ? Com­ment peut-­on avoir au se­cond tour un can­di­dat que moins de 18% des vo­tants veulent voir élu ?

Condorcet - essai sur l'application de l'analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix.

Condorcet à la rescousse !

Cette pro­blé­ma­tique n’est bien sûr pas nou­velle et a été ana­ly­sée par le mar­quis Ni­co­las De Condor­cet en 1785 dans son « Es­sai sur l’ap­pli­ca­tion de l’ana­lyse à la pro­ba­bi­li­té des dé­ci­sions ren­dues à la ­plu­ra­li­té des voix ». Il y montre no­tam­ment qu’une pro­cé­dure de ­dé­ci­sion à la ma­jo­ri­té des voix peut conduire à des ré­sul­tats ­pa­ra­doxaux.

Le scru­tin uni­no­mi­nal ma­jo­ri­taire à deux tours — notre sys­tème de s­cru­tin pour la pré­si­den­tielle — ne res­pecte pas le cri­tère sui­vant ­dit « cri­tère de Condor­cet » : un can­di­dat qui, confron­té à tout au­tre ­can­di­dat est tou­jours le ga­gnant, doit être élu. Ce cri­tère sem­ble ­pour­tant bien na­tu­rel ! Mais au­jour­d’hui, on risque au pre­mier tour ­d’éli­mi­ner un can­di­dat qui au­rait pour­tant ga­gné face à tous les autres can­di­dats pris un par un.

Exemple :

Sur 21 élec­teurs :

  • 7 élec­­teurs ont pour pré­­fé­­rence : A puis C puis B ;

  • 8 élec­­teurs ont pour pré­­fé­­rence : B puis C puis A ;

  • 6 élec­­teurs ont pour pré­­fé­­rence : C puis A puis B.

Avec un vote uni­no­mi­nal ma­jo­ri­taire à deux tours, le can­di­dat C est é­li­mi­né dès le pre­mier tour alors qu’il au­rait ga­gné son duel contre A (A : 7 et C : 14) et son duel contre B (B : 8 et C : 13).

Il est pos­sible que ce scé­na­rio soit proche de ce­lui du 21 avril 2002 ­qui a vu la pré­sence du FN au se­cond tour.

Alors, pour­quoi uti­lise-t on ce mode de scru­tin ?

Il faut dire qu’il a un énorme avan­tage : sa sim­pli­ci­té ! On sait en ef­fet le mettre un œuvre as­sez fa­ci­le­ment à l’aide de bul­le­tins ­pa­piers et d’un dé­pouille­ment ma­nuel, ce qui n’est pas le cas de tous les sys­tèmes de vote.

Le bon système

Je suis dé­so­lé, car mal­gré le titre de cette sec­tion, il n’existe pas de ­bon sys­tème. Ken­neth Ar­row, un éco­no­miste amé­ri­cain, mon­tre­ra ­ma­thé­ma­ti­que­ment en 1951 avec son cé­lèbre théo­rème d’im­pos­si­bi­li­té qu’il n’existe au­cun sys­tème élec­to­ral qui per­mette in­dis­cu­ta­ble­ment et ­dé­mo­cra­ti­que­ment de trans­for­mer des choix in­di­vi­duels en choix ­col­lec­tif, tout en pré­ser­vant un cer­tain nombre de cri­tères rai­son­na­bles (­du type du cri­tère de Condor­cet).

Mais alors ? Sommes-­nous ré­duit à de­voir uti­li­ser des sys­tèmes de vo­te ­qui n’ont pas de jus­ti­fi­ca­tions ma­thé­ma­tiques so­lides et qui n’ont ­par­fois pas plus de va­leur qu’un lan­cé de dès ?

Des systèmes pas trop mauvais

La si­tua­tion n’est pas aus­si ca­tas­tro­phique qu’il n’y pa­rait. S’il n’existe pas de “bon sys­tè­me”, il existe tout de même plu­sieurs sys­tè­mes “­pas trop mau­vais” qui, à dé­faut de res­pec­ter tous les cri­tères d’Ar­row, en res­pectent une bonne par­tie, et no­tam­ment ceux qui - comme le cri­tè­re de Condor­cet - pa­raissent les plus im­por­tants.

Le mar­quis de Condor­cet pro­po­sa ain­si une mé­thode de vote qui s’avè­re ­plus équi­table que le scru­tin uni­no­mi­nal à deux tours, mais qui a pour in­con­vé­nient d’être dif­fi­cile à mettre en œu­vre, à moins d’uti­li­ser un ­sys­tème de vote élec­tro­nique. Elle de­mande en ef­fet aux vo­tants de ­com­pa­rer les can­di­dats deux à deux…

Jean-­Charles de Bor­da, ma­thé­ma­ti­cien, phy­si­cien, po­li­to­logue et ma­rin ­fran­çais, contem­po­rain de Condor­cet, for­ma­li­sa en 1770 une mé­thode de ­vote qui consiste à at­tri­buer un score à chaque can­di­dat. Le can­di­dat ­ga­gnant est alors ce­lui qui cu­mule le plus grand score. Il existe un ­cer­tain nombre de va­riantes re­grou­pées sous le vo­cable de vote par ­no­ta­tion.

Exemple de mise en œuvre :

Ima­gi­nons que quatre villes soient sol­li­ci­tées pour dé­ter­mi­ner la vil­le où se­ra construit l’hô­pi­tal de leur can­ton.

Ima­gi­nons d’autre part que la ville A re­groupe 42 % des vo­tants, la ­ville B 26 %, la ville C 15 % et la ville D 17 %.

Il est cer­tain que chaque ha­bi­tant sou­hai­te­rait que l’hô­pi­tal soit le ­plus proche pos­sible de sa ville. On ob­tient donc les ré­sul­tats de vo­te ­sui­vant, où les 42 % des vo­tants de la ville A mettent en pre­mier la ­ville A, puis en se­cond la ville B qui est moins éloi­gnée que la ville C et D, et ain­si de sui­te…:

Ville A (42 %)

Ville B (26 %)

Ville C (15 %)

Ville D (17 %)

  1. Ville A

  2. Ville B

  3. Ville C

  4. Ville D

  1. Ville B

  2. Ville C

  3. Ville D

  4. Ville A

  1. Ville C

  2. Ville D

  3. Ville B

  4. Ville A

  1. Ville D

  2. Ville C

  3. Ville B

  4. Ville A

Ce qui conduit au dé­compte de points sui­vant (le pre­mier ob­tient 4 ­points, le se­cond 3 points, le troi­siè­me, 2 points et le der­nier 1 point) :

Ville

1re

2e

3e

4e

Points

A

42

0

0

58

226 (=42*4+58*1)

B

26

42

32

0

294 (=26*4+42*3+32*2)

C

15

43

42

0

273

D

17

15

26

42

207

Alors qu’un vote à la ma­jo­ri­té au­rait conclu à une construc­tion de l’hô­pi­tal dans la ville A, le choix se porte avec la mé­thode de Bor­da ­sur la ville B.

Et les questions ?

Les ques­tions ? Oui, les ques­tions qui ont ser­vi d’in­tro­duc­tion à ce ­pe­tit billet et à ce que vous pou­vez en­tendre au­tour de vous, comme par exemple « Faut-­il vo­ter utile ? ». Et bien les voi­là éra­di­quées ! Avec un sys­tème de vote par no­ta­tion, vous pou­vez vous ex­pri­mer à vo­tre ­con­ve­nance pour le can­di­dat que vous sou­hai­tez éli­re, pour les can­di­dats que vous ac­cep­te­riez éven­tuel­le­ment de voir élus, et vous pou­vez aus­si ­nom­mer les can­di­dats dont vous ne pour­riez sup­por­ter de su­bir les in­con­sé­quences crasses.

Une expérience pour 2012

Un de mes cou­sins a por­té ré­cem­ment à ma connais­sance une ini­tia­ti­ve in­té­res­sante pour l’élec­tion de 2012 qui pro­pose aux ci­toyens de ­par­ti­ci­per, pa­ral­lè­le­ment aux élec­tions of­fi­ciel­les, à une élec­tion ­se­lon un sys­tème de no­ta­tion si­mi­laire au sys­tème de Bor­da : le vo­te de va­leur. L’ini­tia­tive est consul­table sur le si­te http://www.­vo­te­de­va­leur.org et a ­pour ob­jec­tif une com­pa­rai­son scien­ti­fique d’un scru­tin uni­no­mi­nal à ­deux tours et d’un sys­tème avec vote de va­leur.

Je vous en­cou­rage for­te­ment à y par­ti­ci­per. On peut es­pé­rer que ça ouvre la voie à la mise en place d’un sys­tème de vote plus ­re­pré­sen­ta­tif que le mode de scru­tin ac­tuel.

Le vote électronique ?

Pour fi­nir, un der­nier mot sur la pro­blé­ma­tique du dé­pouille­ment des ­votes. Pour un scru­tin ma­jo­ri­tai­re, on sait faire. Ça se passe à peu ­près bien et dans des dé­lais rai­son­nables. La pré­sence d’ob­ser­va­teurs ­tiers per­met de li­mi­ter les er­reurs ou les bour­rages d’urnes !

La mé­thode de vote pro­po­sée par Condor­cet n’est par contre pas adap­tée à ce style de dé­pouille­ment en rai­son du grand nombre de bul­le­tins et de cal­culs né­ces­saire à l’ob­ten­tion du ré­sul­tat fi­nal. À notre épo­que, il est ten­tant de faire ap­pel aux or­di­na­teurs pour trai­ter toutes ces ­don­nées — après tout, le trai­te­ment de grande quan­ti­té de don­nées est ­bien leur rai­son d’être !

Mais, car il y a un « ­mais », les or­di­na­teurs sont très sen­sibles aux er­reurs de pro­gram­ma­tion, aux vi­rus, aux ha­ckers;… Il est tel­le­ment ­fa­cile de tri­cher avec des or­di­na­teurs qu’on se de­mande en­core com­ment des élec­tions peuvent au­jour­d’hui uti­li­ser des ma­chines à vo­ter, et ­qui plus est, dans des dé­mo­cra­ties !

Bref, un chan­ge­ment de pro­ces­sus élec­to­ral ne pour­ra être réa­li­sé que ­si une tech­nique ma­nuelle de dé­pouille­ment peut être mise en œuvre. L’ini­tia­tive ré­fé­ren­cée ci-­des­sus pro­pose quelques pistes.

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